n°144 - mars / avril 2017

Chercheurs et communautés : vers une recherche équitable

Par Thomas Burelli, Université d’Ottawa / France Liberté

Publié le 20/04/2017

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Les communautés autochtones disposent de connaissances et de pratiques en lien avec l’environnement qui présentent un intérêt pour la recherche scientifique. Comment la recherche peut-elle tisser avec elles des partenariats équitables et respectueux ? Le point de vue de Thomas Burelli, professeur en droit de l’Université d’Ottawa.

Il existe parmi les communautés, une grande diversité de réalités du point de vue de l’organisation sociale et de la circulation des savoirs traditionnels associés à l’environnement : certains savoirs sont par exemple détenus individuellement tandis que d’autres le sont de manière familiale ou encore communautaire.

Il en résulte une apparente complexité dans le cadre des projets entre chercheurs et autochtones. Le recueil du consentement et le partage des avantages, droits reconnus en faveur des communautés, peuvent alors apparaître comme des étapes difficiles à respecter. Certains chercheurs déclarent ainsi être parfois totalement démunis et ignorants des manières d’agir. Pourtant, dans certains cas, plutôt que de mettre en suspens leurs projets, ils décident d’aller de l’avant et déclarent unilatéralement qu’en raison de « difficultés insurmontables », ils n’ont pas à recueillir un consentement libre et éclairé et à organiser un partage des avantages. La recherche doit continuer à tout prix.

Ce type de raisonnement profite d’abord aux chercheurs et à leurs instituts. En valorisant les savoirs des communautés sans contreparties pour elles, notamment par le biais de dépôts de brevets et de publications scientifiques, les chercheurs obtiennent, entre autres, avancement et subventions de recherche.

Avec qui partager ?

Organiser une collaboration équitable avec des communautés autochtones serait-il plus complexe que de le faire avec un institut de recherche ou encore une entreprise, démarches très courantes pour les acteurs de la recherche ? Assurément non !

Selon de nombreux acteurs de la recherche, l’obstacle majeur est : avec qui et comment partager équitablement ? Notons d’emblée que la complexité de l’organisation sociale et juridique des communautés autochtones ne résulte bien souvent que du peu d’attention qui leur est accordée.

La première étape consiste à inclure les communautés au sein des projets et à solliciter leur opinion quant à leur degré de participation et ses modalités. Car les communautés connaissent les autorités légitimes pour autoriser un accès ainsi que les règles d’utilisation de leurs savoirs.

Un projet de recherche ethnobotanique structuré autour des seuls besoins des chercheurs et qui ne tient pas compte des aspirations et des visions des communautés autochtones, par manque de temps (par exemple en raison des délais imposés par des financeurs), de ressources financières (par exemple pour la traduction de documents ou d’ateliers de restitution), ou encore par ignorance (sincère ou feinte) des modes de fonctionnement des communautés, est un projet mal construit ainsi qu’une entreprise de recherche non soutenable. Ce type de pratiques est en effet de nature à renforcer un peu plus la méfiance des communautés envers la recherche et ses représentants et donc à nuire à de futures collaborations.

Pour une recherche éthique

Une recherche équitable et respectueuse des communautés est basée au contraire sur : la transparence et l’information continue des communautés tout au long des projets ; la participation des communautés et de leurs membres au cours des différentes phases de la recherche ; l’hybridation des méthodes et des échanges avec les communautés afin de maximiser la compréhension mutuelle entre les chercheurs et les autochtones ; et le partage des pouvoirs de décision au cours des différentes phases de la recherche dans la mesure où les communautés et leurs membres sont de véritables partenaires (comme le seraient par exemple des collègues chercheurs ou des acteurs du secteur privé).

Depuis les années 1980, de nombreux instruments tels que des codes éthiques, des lignes directrices, ou encore des contrats, ont été développés par les acteurs autochtones et ceux de la recherche, notamment en Amérique du Nord, Nouvelle-Zélande et Australie. Ces instruments constituent autant d’expériences et d’outils mobilisables. La France, en retrait par rapport à d’autres, n’est pas pour autant en reste. Depuis les années 2000, plusieurs documents viennent encadrer les initiatives des chercheurs. C’est le cas notamment de l’avis du Comité d’éthique du CNRS de 2007 sur L’impératif d’équité dans les rapports entre chercheurs et populations autochtones ou plus récemment, en 2014, le Code éthique du Criobe (un laboratoire du CNRS) sur les projets de recherche impliquant les populations autochtones et locales et leur patrimoine.

La mise en œuvre de projets équitables ne constitue pas une tâche insurmontable et les chercheurs et les communautés sont aujourd’hui loin d’être démunis.

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